La pandémie de Covid 19 qui sévit depuis le début de l’année 2020 provoque une crise sanitaire et économique sans précédent. Elle a également des répercussions psychologiques importantes qui affectent, de manière particulièrement aiguë, la jeunesse, parfois confinée dans de tout petits chez soi et inquiétée pour son avenir. Nous avons eu envie de savoir comment une partie de cette jeunesse, résidant en structures d’accueil au Luxembourg, vivait cette situation inédite et facteur de fragilisation de la condition des plus fragiles.

Solitude, précarisation, anxiété, une étude publiée par la Librairie nationale de médecine aux États-Unis recense d’ores et déjà une multitude d’affections psychologiques liées aux mesures sanitaires prises pour lutter contre le SARS-CoV-2. Durant cette crise, les adolescents et jeunes adultes sont particulièrement touchés car celles-ci interviennent à un moment de leur vie où le vivre-ensemble joue un rôle fondamental dans la construction de leur identité personnelle, sociale et professionnelle. Dégradation du lien social, le plus souvent réduit à des interactions digitales, isolement affectif et un questionnement exacerbé sur l’orientation professionnelle. Quels seront les métiers porteurs à l’avenir quand des pans entiers de l’économie vacillent ? Quels secteurs embaucheront demain ? Voici, entre autres, les questionnements et les angoisses d’une jeunesse déjà désoeuvrée. Et que dire de ceux qui n’ont pas démarré leur vie avec toutes les chances de leur côté ? Pour qui le « chez soi « n’est plus, depuis longtemps, une notion très familière ou synonyme de bien-être. Les jeunes des foyers d’accueil purgent en quelque sorte une double peine, confinés et loin de chez eux. Et pour autant, ils ne sont pas dénués de ressources, résilients avant l’heure, comme le montrent les 20 locataires du foyer d’accueil VIVO dans le quartier de Gasperich.

Les foyers de la deuxième chance

Le Luxembourg compte un certain nombre d’enfants, adolescents et jeunes adultes placés en foyers d’accueil pour mineurs et jeunes. Ils y sont, soit de leur plein gré, avec l’accord de leur famille ou parce qu’un juge de la jeunesse considère qu’un environnement familial propice à leur bon développement fait défaut. La Fondation Solina, un acteur social luxembourgeois, complémente entre autre les solutions d’hébergement par une offre de consultations psychologiques visant à stabiliser des personnes sur le plan psychique, social et relationnel, ainsi que leur insertion dans la vie professionelle, si nécessaire. L’objectif : offrir à ces pensionnaires une chance de trouver une forme d’équilibre et un chemin positif vers leur vie d’adulte. « Notre vocation, c’est de donner aux jeunes les outils nécessaires afin qu’ils puissent construire leur vie d’une manière autonome et sereine, leur offrir une deuxième chance », conclut Michèle Kridel, directrice générale de l’a.s.b.l SOLINA Solidarité Jeunes, une des trois associations qui constituent la fondation.

«Beaucoup ici ont des soucis avec leurs parents. Ils ne peuvent plus vivre avec eux mais la majorité reste en contact avec leur famille. La structure d’accueil nous permet de prendre de la distance par rapport au passé et de refaire les liens » confie Chloé, une jeune fille de 17 ans qui vit depuis deux ans dans un des foyers de la fondation. Après des débuts difficiles, elle se dit ravie du cheminement qu’elle a pu réaliser grâce à l’accompagnement des équipes d’éducateurs et de psychologues.

 

L’avènement du virus : premières craintes, premières incrédulités

«On n’aura jamais la Covid, les médias exagèrent comme toujours, c’est ce qu’on pensait tous au début» raconte Chloé, témoignant de la défiance collective au foyer face à cette pandémie et son traitement journalistique. «Ce n’était pas comme si la situation nous indifférait mais on avait l’impression que le virus allait rester à l’extérieur du foyer» ajoute Jean. Pauline confie avoir été plus inquiète «je ressentais un malaise à l’égard de ce nouveau virus dont on ignorait tout.» D’une manière générale les jeunes se sont montrés assez méfiants envers les grands médias. Leur responsabilité et leur tort ? «Ils propagent un pessimisme ambiant de manière assez systématique, c’est leur fond de commerce » Pauline le résume ainsi. «C’était moins grave que je pensais. Au début quand je suivais les médias, j’avais l’impression que ça allait vraiment être très grave pour moi et pour tout le monde. J’imagine un jeune de dix ans qui voit cela et la frayeur qu’il doit ressentir. Les médias ont tendance à être trop alarmistes.» En discutant avec les jeunes habitants du foyer, on est vite gagné par l’impression qu’ils partagent une certaine forme de résilience. La raison à une expérience précoce de l’adversité? Ils ont dû surmonter très tôt des traumas que d’autres enfants ne subiront jamais. Chloé semble confirmer cette intuition. «J’ai trop endurée dans la vie pour me permettre de penser comme un teenager».

L’avènement du virus : premières craintes, premières incrédulités

L’isolement strict à l’heure du protocole sanitaire

La mise en oeuvre cohérente du protocole sanitaire tel que souhaité par le gouvernement depuis le début de la crise impose des règles particulièrement exigeantes pour tout type d’habitat collectif. Tel fut également le cas pour le foyer d’accueil VIVO : après un premier confinement de deux semaines en mars 2020 les évènements culminaient en une période aiguë en janvier 2021, lorsque le virus faisait son irruption au sein de l’établissement. Durant un mois s’en suivit une série de mises en quarantaine alternées qui au final auront affecté la quasi-totalité du groupe. Pour ceux qui étaient testés positif ainsi que les cas contacts identifiés ou possibles, le confinement strict en chambre s’imposait. Isolement total donc. Selon Marco Helten, team-leader du foyer, cette situation mettait une pression certaine sur l’équipe. «On était conscient que cette période pouvait extrêmement fragiliser nos jeunes. Il fallait redoubler d’efforts et être flexible afin d’éviter qu’ils se sentent abandonnés. On essayait d’être aussi proches que les circonstances le permettaient, les services psychologiques de la fondation étaient disponibles via consultations à distance. Quand il leur fallait quelque chose, on s’organisait pour le leur procurer». Le regard que ces jeunes gens portent collectivement sur cette solitude forcée après-coup ? «Au début ce qui était difficile c’était de devoir rester dans sa chambre toute la journée. Le matin tu te lèves, tu regardes tes réseaux, tu étudies, sinon Netflix ou la télé. Il n’y a pas grand-chose qu’on peut faire dans une chambre, les journées deviennent très longues. Mentalement, je finissais par être tellement fatiguée que je dormais beaucoup », avoue Pauline, témoignant ainsi d’une forme d’engourdissement psychologique vécu par elle et ses colocataires. «Les éducateurs nous soutenaient beaucoup, ils nous disaient que ce n’était pas grave, qu’on va s’en sortir […] on a très vite eu l’impression que les choses étaient sous contrôle et qu’on avait le soutien nécessaire, c’était hyper rassurant»

 

 

Un vécu collectif fort

Vivre en foyer à l’heure de la Covid et des contraintes sanitaires fortes qui s’exercent sur tout forme d’hébergement collectif est bien sûr une épreuve. Mais ce vécu communautaire a paradoxalement aussi été source de grand réconfort pour les jeunes habitants du foyer de Gasperich. Ils se disent être marqués par la dynamique collective que la situation a suscitée. «Vivre ensemble nous aidait énormément, surtout pendant les périodes hors confinement. Puisque tout le foyer se faisait tester, cela nous permettait dans un premier temps de faire plein d’activités en groupe, des promenades en vélo ou à pied». Traverser ensemble cette situation singulière, coupé de son cercle social habituel, amplifiait les phénomènes d’identification et de solidarité. «Vu qu’on vivait tous la même chose, on en discutait davantage entre nous. J’ai vraiment l’impression que cela nous a soudés comme groupe.» Les populations de ce type de foyer sont plutôt hétérogènes et compte tenu de la nature extrêmement anxiogène de la situation, on aurait pu craindre une flambée des conflits. Pauline dément «il y avait plus de bons moments que des tensions vraiment. On avait de la chance qu’il faisait beau avant la période du confinement, on était tout le temps dehors. On passait beaucoup de temps ensemble, on cuisinait le soir […] et quand quelqu’un du groupe manquait, on l’appelait afin qu’il nous rejoigne». Au final l’expérience aura laissée plus de souvenirs positifs que négatifs. D’un sourire retenu, elle conclut «on est tous fiers d’avoir franchi cette étape ensemble».

Confinement et réseaux sociaux

Pour cette génération qu’on qualifie souvent de « digital-native », hyper-consommatrice de contenus circulant sur les réseaux sociaux, ces médias ont joué un rôle plutôt ambivalent. Aides précieuses pour lutter contre l’isolement, permettant le maintien d’un cercle social, affectif et familial, ils ont également pu semer le trouble dans l’esprit de certains. Des études menées par le Center for Internet Addiction aux États-Unis, établissent un lien entre la consommation des réseaux sociaux et certains malaises éprouvés par ces adultes en construction, tels que des troubles identitaires. En effet, cette tranche d’âge peut se voir démunie par rapport au flot de référents auxquels ils sont exposés car le discernement nécessaire peut leur faire défaut. Quel est le constat ici? «Des amis virtuels j’en ai plein, c’est sympa, mais ils ne se préoccupaient pas vraiment de moi quand je n’allais pas bien, c’est assez superficiel au final» commente Chloé. «J’étais souvent avec ma maman en FaceTime. Le fait de ne pas pouvoir la prendre dans les bras était bizarre» regrette Pauline. Contrairement aux idées reçues, ces adolescents qu’on suspecte d’un engouement quasi aveugle pour les contenus numériques, témoignent d’une lucidité certaine. Et le réel finit par l’emporter sur le virtuel. «Après deux semaines en confinement, je saturais vraiment, je n’en pouvais plus des réseaux […] Depuis qu’on a vécu ça, on est beaucoup moins sur nos smartphones alors qu’avant on était dessus tout le temps comme si c’était la chose la plus importante au monde, même lorsqu’on se retrouvait ensemble. Personnellement, cette expérience m’a fait réaliser que le contact social direct est ce qu’il y a de plus précieux».

Dans de nombreux pays, les établissements d’enseignement primaire, secondaire ou universitaire ont dû fermer leurs portes en raison de la pandémie et mis en place la formation à distance comme alternative. Il n’en a pas été autrement pour les jeunes du foyer du Grand-Duché qui ont dû expérimenter l’école digitalisée. Des études démontrent cependant que ce mode d’enseignement et d’apprentissage peut difficilement remplacer l’école en présentiel. 65% des jeunes interrogés estiment en effet que leurs acquis on été réduits. Pauline confirme « Je trouvais le homeschooling difficile d’un point de vue technologique […] une expérience au final assez abstraite», et pointe un certain risque de décrochage car l’outil informatique ne permet visiblement pas la même concentration. « C’est fatiguant de devoir se concentrer avec les quinze autres élèves devant soi sur l’écran, je trouve cela très déroutant.»

 

Quelles perspectives professionnelles ?

Selon l’étude ‘Les jeunes et la Covid-19’ menée par l’Organisation Internationale du Travail, la tranche d’âge comprise entre 16 et 29 ans sont la frange de la population la plus lourdement impactée par les conséquences directes et indirectes de la pandémie. L’étude estime en effet que les effets disproportionnés de la pandémie sur les jeunes ont exacerbé les inégalités et risquent d’affaiblir le potentiel productif de toute une génération. Au Luxembourg, ce sont plus de 30% des demandeurs d’emploi qui appartiennent à cette tranche d’âge. Et leur situation s’est nettement précarisée en 2020. « Je pense que c’est pire pour un jeune que pour un adulte actif, qui a déjà sa carrière en place. Je ne trouve même pas un poste d’apprentissage. Il y a vraiment une dimension d’injustice car on nous enlève nos possibilités […] les gouvernements ont poussé trop loin, sans réellement tenir compte de tous les aspects », s’agace Jean. « Je comprends évidemment qu’ils fassent de leur mieux pour protéger la population mais est-ce qu’ils seront vraiment en mesure d’apporter des solutions à ce qui va suivre? » Il avoue un certain pessimisme quant à son futur et celui des générations à venir. Pour Chloé, même désillusion «ce qui est frustrant, c’est qu’on n’a plus accès au marché de travail, même pour les jobs d’été, on n’a nulle part où aller ».

L’expérience de la pandémie : déclic ou atonie ?

La Covid reste pour tous les pensionnaires du foyer d’accueil une expérience inédite et singulière à bien des égards. Aura-t-elle été un catalyseur positif ou un poids de plus dans la vie de ces jeunes gens à la trajectoire déjà tumultueuse ? Chloé répond sans équivoque «La période Covid ne m’a pas apporté des résolutions. J’étais complètement hors jeu, je dormais beaucoup ou je regardais ma tablette.» Mais Pauline, quant à elle, se sent grandie et plus forte de certaines convictions, d’une certaine prise de distance aussi à l’égard de « sa vie d’avant ». « On est des jeunes comme tous les jeunes. On réclame beaucoup de choses, des vêtements, des gadgets sous toutes leurs formes, des nouveautés. Désormais, je me dis qu’on n’a pas besoin de tout ça, on a déjà tout dans notre vie, on a un toit, on a des amis, on a tout».

 

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